Etat d'Art



« La gloire est le résultat de l’adaptation d’un esprit avec la sottise nationale. »
« Imbéciles sont ceux qui croient que la gloire ne peut être appuyée que sur la vertu. »
Charles BAUDELAIRE



Je tente désespérément d’écouter Stravinsky interprété par lui-même et l’Orchestre de Cleveland ; mais mon voisin d’en dessous lui impose une ligne de basse et un rythme en boîte pour le moins incongrus. Nous en sommes là : Le chant Grégorien que Huysmans définit comme « véritablement extra-terrestre », prend des accents délicieusement New-Age, grâce aux pertinents ajouts électroniques de neo-chamanes qui le font ressembler aux resucées celtisantes à la mode et qui ramènent la ferveur monastique du Mont Athos au niveau du neo-druidisme-bio. Quel joli monde ! La musique est balancée dans les night-club comme un vulgaire paquet de mouchoirs qu’on jette. Et le reste suivant la même pente infernale… Je pense à « l’Art » – en général ou en particulier – qui n’existe plus, parce qu’il n’a plus légitimité à être nommé ainsi, mais par fureur euphémiste, devient « création plastique », « expression corporelle », « composition sonore », et autre « concept » qui masque à peine, sous un intellectualisme de hall de gare, le vide horizontal d’une pratique perdue sous les tonnes déversées de platitudes et de médiocrités actives, conséquence logique de l’entreprise réformatrice, ou destructrice, entamée par les illuminés du XVIIIè siècle. Le mot « Art », sitôt prononcé, s’entend « élitiste », contre les indéniables progrès de la bande dessinée, contre les suréminents apports de la musique de rue à celle dite « classique », la chape plombée du nivellement égalitaire, et si l’on y met une majuscule : le pauvre mot « Art », devient synonyme de « Facho ». Comme tout ce qui exprime grandeur, pour ne pas dire transcendance ; ce qui implique une comparaison, ce qui prend en compte la notion de qualité et ne tient pas seulement au « goût et aux couleurs » de l’un ou l’autre. « L’Art Majeur » (celui qui a plus de vingt et un ans) – non enfantin : la parole qui dépasse le « arreuh » – le dessin travaillé au-delà du gribouillis – la musique élaborée sur d’autres instrument que le tam-tam – la civilisation qui a plus de deux siècles – la Religion qui ne ressemble pas à « une philosophie » et ne vient pas non plus d’Orient, etc.
Il convient que l’artiste sache ce qu’il sert et non ce à quoi il sert, autrement connaître ses ennemis, quelle est sa valeur propre, hors les critères d’une société déboussolée, républicaine et laïque, sans Père ni morale, mais avec une multitude de « parâtres » insipides et où une pseudo-liberté tient lieu de loi inaliénable. Il doit s’enfermer dans la haine des autres. Je ne veux pas dire qu’il doit haïr les autres, je veux dire qu’il doit « être haï » par les autres, supporter les crachats de la foule comme une onction d’Huile Sainte. Il sera déchiré par la médiocrité ambiante comme Orphée ou Dionysos par leurs disciples, crucifié par ses coreligionnaires comme Jésus Christ.
S’il faut en passer par là pour avoir l’esprit « libre », tout vaut mieux que de devenir un larbin subventionné par l’état laïque, un artiste « fasciste » au sens propre, c’est-à-dire au service de l’état et de la communauté nationale, de l’Histoire de l’humanité (qui, comme on sait se dirige forcement vers un avenir lumineux et de bonheur). Quoiqu’en disent les receleurs des commandes de la République, du peintre en bandes sur colonnes tronquées au bédéiste grand-format en passant par l’instalateur-concepteur-créatif, tous ces gens là, qui n’ont peut-être aucune conviction politique, perçoivent des subsides et sont tenus par la toute puissante société sous sa forme la plus abjecte, qui est l’assentiment de la majorité ou bien commun. Le Ministère de la culture est une police des consciences effroyablement pernicieuse, menée par des inquisiteurs égalitaristes et appuyée sur un grouillement d’indicateurs vénaux, pour abolir l’Art vrai au profit de l’art utilitaire, en quelque manière que ce soit : pour divertir les masses ou flatter un panel d’eunuques intellectuels.
En réalité, « l’artiste contemporain » est un fonctionnaire dans ce que le terme a de plus péjoratif et de moins honorable : administrateur-parasite. Il est standardiste de la pensée, une sorte de concierge, l’échelon le plus bas dans la hiérarchie administrative. Et toute cette engeance produit de la culture en veux-tu en voilà : des poètes surgis des « cités-ghetto », des contestataires qui « bombent » et qui « taquent » des palissades alloués par l’état ou bien des façades privées, quand ce ne sont pas des monuments séculaires ; cela sous l’œil peut-être réprobateur mais muet, de beaucoup de braves gens bâillonnés par la crainte d’être appelés « intolérants » ou « réacs ». Il n’est même pas besoin de se rebeller, tout sera récupéré et recyclé dans la broyeuse démocrate, dévoré et chié sur l’ennui de masse, noyé par le déluge de feu de la Fin des Temps.
« Mais alors, que faire ? », me demande un crétin à l’esprit aussi étroit que le vagin de sa pute.
Je lui réponds :
— Fais de la culture physique et laisses moi l’autre. Fais du sport : « le meilleur moyen, selon Léon Bloy de former une Nation entière d’imbéciles ». Si, comme le dit Jean Paulhan : « Nos arts sont faits de refus », il est vital de savoir ce que l’on refuse, ne pas refuser purement et simplement tout et n’importe quoi ; cependant accepter les principes de l’art définis par l’art lui-même, sans l’idéalisme benêt qui se tourne vers un avenir fantasmatique. L’Art présent est avant tout celui du passé, on n’interprète pas les pièces qui n’ont pas encore été écrites. L’artiste à qui il reste un peu de bon sens ne peut s’imaginer qu’après lui vient le déluge, ni qu’il renouvelle de fond en comble ce qui à été élaboré avant lui depuis l’âge de pierre, mais il découvre de nouveaux voiles tendus sur la réalité, il découd les vieilles tentures avec une précaution maniaque, de manière à conserver les fils intacts et retisser l’ouvrage divin selon les canons que la mémoire a élaborée. Cela s’appelle réalisme, d’une réalité sensible au non, peut-être transfigurée par le sens « personnel » de cette réalité. Le réalisme n’étant pas pragmatisme, pas plus que la sensibilité n’est émotivité, ni l’émotion pleurnicherie. L’artiste doit être ascète plus qu’esthète, il se doit ce qu’il doit à sa pratique, il doit son être à son œuvre, il doit sa vie à ce qu’il est exceptionnel. S’il faut pour cela qu’il n’ait aucun revenu : qu’il crève de faim ! qu’il suive l’axiome balzacien : « Un artiste vit comme il veut, ou... comme il peut. »
En conclusion, si la gestion de l’art n’est pas confiée au ministère de l’intérieur, c’est à dire si l’on ne fout pas cette bande d’agitateurs en prison, elle ne peut qu’être libéralisée, confiée à des mains et bourses à l’œil exercé d’individus qui auront les moyens de leurs choix ou seront efficacement conseillés, qui sont le peuple et non des « représentants du peuple » remerciant leurs mignons des faveurs « sub-ceinture » qu’ils auront su leur prodiguer. Il faut que le bon goût soit « non-imposable » et qu’il ne soit pas « imposé », la solution est politique et fiscale. Caius Cilnius Maecenas, dit Mécène, était Chevalier romain d’extraction Etrusque, ce n’était pas un bureaucrate bolchevique.




Marseille, 30 septembre 2003.



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