UN VIVANT !!!



“Toujours en colère contre les hommes, les choses,
le temps, la nourriture, le théâtre, la politique,
il établit autour de lui un climat de catastrophe et de révolte auquel nul ne résiste.”
- Robert BRASILLACH (parlant de Lucien REBATET dans "Notre Avant-guerre").

“un innocent est toujours le centre,
le noyau d’une certaine fermentation.
La terre fermente autour de l’innocent, voilà le fait !”
- BERNANOS, Monsieur Ouine.



Laurent PELLECUER peint comme il boit : avec passion. J’entends par là qu’il a une passion pour la peinture sans contrainte, comme lorsqu’on boit entre amis, dans une nonchalance extatique face au monde, cherchant à vivre dans un silence oxygéné, bourré de félicité.

Je le rencontrais pour la première fois lorsqu’il me fit passer un excellent texte : Sinistre Comédie, en vue de publication dans ma défunte revue MAOOS SUCEPECK. Tout ce que j’aime dans la littérature y était : personnages décadents en quête d’ivresse, reclus de la société, anges délirants noyés dans la crasse et l’alcool… Art, littérature, et Dieu étaient les sujets d’interminables dialogues parodiques dans un huis clos percutant. Je rencontrais mon Buk, à deux pas de chez moi ! Jamais je n’aurais pensé tomber sur quelqu’un comme lui avec ma camelote, et ma première rencontre dans son manoir excessivement loufoque a pu ressembler de très près à une visite de VRP ! J’appris alors qu’il était peintre, non pas écrivain. Un peintre qui a fait les Beaux-arts à Paris, qui a rencontré des artistes comme Aléchinsky, Boltansky, Velikovic... J’allais ensuite dans son “Salon” (que j’appellerai comme Blondin celui des “buveurs indépendants”) en jeune pèlerin à la recherche d’un peu de Vérité et de Joie, tailler tranquille le bout d’olive avec un esprit véritablement fraternel. Pour vous définir le personnage “dandyesque” qu’est Laurent Pellecuer, je m’en vais l’egotriper, comme dans une rencontre de boxe, à l’exception des coups de poings qui sont transformés en éloges catastrophiques.

Premier round : Déjà mort…
Déjà mort mon Laurent ? Non… Il veut juste le faire croire aux sots. C’est pourquoi un moulage mortuaire (bandeau sur les yeux et ficelle sortant par la bouche) est posé au centre d’un gros pieu de bois transformé en croix salutaire pour accueillir les visiteurs dans son atelier. Un appartement ou les tableaux de dévotion sont comme des retables élevés devant l’autel de son lit. Oui, Laurent ressemble à un écorché vif même quand il dort ! Laurent veut montrer qu’il est catholique mais ne lui dites pas qu’il fait de l’art religieux, il est avant tout un artiste dégagé des dogmes, mais pour mieux encore les exprimer. Car Laurent est toujours inspiré par un souffle unique, c’est pourquoi plusieurs signes religieux ornent son atelier : un immense poster rapporté d’Italie nous montre toute la lignée des papes ; une photographie de mère Térésa est scotchée dans le coin d’une gravure sur bois représentant le Serpent de la Genèse ; une aquarelle de la Vierge Marie prie au-dessus d’un radiateur ; dans la cheminée traîne un saint Michel terrassant un Dragon en papier mâché… Enfin, il a peint récemment des Eglises, où patiente une humanité en attente de floraisons renaissantes. Des Eglises de toutes les époques, s’encastrant de toute part, avec des clochers débordant de tous les côtés, des croix qui pointent à l’unisson vers le ciel au milieu d’une jungle naturelle.
Tous ces détails démontrent bien que l’artiste a fait de son territoire de création un lieu saint. Le mot pourrait être excessif mais c’est un lieu où l’on se sent bien, un haut-lieu (habitant au dernier étage), un refuge où, comme dans ses Eglises imaginaires, Laurent y introduit des fidèles. FIDÈLE, adj. (lat. fidelis) Qui garde la foi donnée, les engagements pris. Fidèle à son roi, à sa parole, etc. • Être fidèle à, ne pas manquer à. Être fidèle à ses principes, à garder un secret. • Dont les affections ne changent pas. Ami fidèle. • Il se dit aussi des sentiments eux-mêmes. Amitié fidèle. [...]
Dixit le nouveau Littré.
Laurent est mon fidèle, véritablement généreux, pas seulement dans les sentiments mais par le sang, c’est un artiste de sang, un peintre de race qui s’appuie sur sa religion pour aller au-delà de son ego, ce qui est rare dans un monde où “MOI” règne de partout. Du totalitarisme est dans son art, certes, mais il fait ce qu’il dit sans attendre aucun applaudissement, voilà la différence. Aujourd’hui, QUI accepterai d’aller à la rencontre d’un être véritablement aimable ? Il faut de l’enthousiasme, c’est toujours pareil…

Deuxième round : Saint Sébastien.
Dans ses derniers travaux de gravures sur bois pour l’illustration d’élans littéraires génésiques, Laurent a gravé un saint Sébastien que je m’en vais cogner. Dans cette gravure, saint Sébastien est transpercé de six pieux, tous dirigés contre son cœur, il a un serpent sur la tête et un aigle sur son épaule gauche, tous deux attendant patiemment de consommer ses entrailles magnifiques. Il faut que sa voix sorte de ses tripes s’il veut se trouver en sympathie avec le monde, et à la lecture des ses entrailles, il y a du Beau, de l’Absolu. C’est pourquoi le monde doit le manger s’il veut être sauvé. Pour tant d’autres qui sont tués comme des porcs, pourquoi Sébastien est-il devenu un héraut de l’amour ?
Sébastien, par ces pieux, illumine le monde par la volonté surnaturelle de sa foi, par son amour pour Dieu. Le vieux centurion romain était percé de douze flèches sur tout le corps mais ces six pieux-là le transpercent littéralement. Ils deviennent six autres plaies intérieures et cela fait bien douze souffrances. Six plaies extérieures pointées sur le monde (aussi pour s’en protéger, tel un hérisson ou une châtaigne), six plaies intérieures dans l’Homme (pour se renforcer l’âme, concentrer sa Foi en Dieu). Alimenter ses blessures est le devoir de tout ce qui a une âme, car celles-ci manifestent autant de signes divins qui attendent de jaillir d’une façon primitive sur les êtres encore porteurs d’humanité. Cela signifie qu’il faut oser vivre avec ses plaies, c’est une force vivifiante qui mène à l’union dans Dieu, mais qui peut boire le sang du cœur ?
Par l’impossibilité de s’inscrire dans une harmonie, Sébastien renonce à tous secours extérieurs et subi humainement son supplice pour se transfigurer. Il sait que la présence divine l’accompagne dans sa nouvelle incarnation et cela le comble, il peut souffrir mille persécutions sans rien changer à son état d’esprit. Sébastien va se trouver vidé de ses tripes pour manifester son Amour de l’esprit de Vie, et en devenir le martyr. Le souffle de Dieu plane dans cette gravure, sans être toutefois ni un cri, ni une plainte. Le visage de Sébastien est serein, en attente de quelque chose de sublime, partagé entre son désir d’accéder à l’harmonie et celui de s’affirmer comme un Rédempteur. Il se délivre en entier de la masse cruelle en s’abandonnant aveuglément au rictus du Nombre, et le spectacle est gratuit… Une gratuité qui en dit long sur l’Eternelle Vérité. Une personne qui peut rester dans un tel état, littéralement planté au milieu des crachats et des insultes sans avoir peur, rien ne peut plus échapper à sa lucidité, chaque mot qui sort de sa bouche est maintenant comme une flèche, un pieu empoisonné qui s’enfonce dans le cœur des spectateurs. Sébastien ne mourra pas de ses plaies, et plein de sang divin dans la bouche, son Verbe peut se multiplier, se répandre, se disperser et s’évanouir dans la nature... Silence. L’ange devient un homme régénéré et le Verbe Divin trouve un adepte dans un langage incandescent, un style. Avoir du style, c’est être soi-même totalement mais aussi d’Ailleurs, avec du feu dans les veines et un véritable brasier dans la bouche, en vibration avec l’Éternel. Chaque martyr possède son propre style, une langue-lave personnelle qui résonne dans le Christ, ce Verbe extra-terrien, c’est pourquoi leur sang germe de partout, au Ciel et sur la Terre, depuis le commencement. “L’artiste, dit Ernest Hello dans L’Homme, – l’artiste digne de ce nom – donne de l’air à l’âme humaine.”

Troisième round : Peintre de la catastrophe.
Lorsque Laurent ouvre la bouche, il bout, il invective, il éructe des commentaires qui nous emportent par ce ton spécial, ce ton catastrophique. La révolte est omniprésente chez lui : dans son appartement, dans son style de vie, dans sa peinture, son écriture, sa musique, et même dans sa cuisine… Ses choix sont autant de missiles qui partent exploser dans les petites cervelles cramoisies par le superficiel, les préjugés, le conventionnel : ceux qui utilisent la CANELANGUE©, qui font coin ! coin ! comme les canards - sans cesse coin ! coin ! coin ! C’est pourquoi Laurent aimerait être un vrai fasciste, pour faire peur à tous ces canards, et les éradiquer de sa vie.
Dans sa Bibliothèque érudite, les auteurs grecs et latins se partagent les étagères avec des ouvrages religieux, ésotériques, d’Alchimie ou de littérature dure : Saint Bernard, Guénon, Fulcanelli, Ibn ‘Arabî, l’Évangile ésotérique de Saint Jean, un rayon complet de Léon Daudet, une place de choix pour Bloy, Belluaires et Porchers, deux Rigodon célinien (l’un danse, l’autre s’étrangle dans un trou), une Histoire de la musique de Rebatet, Notre Avant-Guerre de Brasillach, des Enfants tristes de Nimier, des Illuminés de Nerval, et des Lettres de bénits, de maudits ou de suicidés : Artaud, Van Gogh ou Saint Jérome... Quoi ? Qui dira que ce ne sont pas de vaillants et profonds penseurs ? Des intellectuels essentiels pour qui veut comprendre ? Des hommes pour qui la vie n’a été qu’une suite d’idées mise en action ? Des hommes pour qui les idées sont choses vivantes ? Pour qui la langue et l’amour de la littérature sont au-dessus de presque tout ? Laurent est un artiste sanguin, raciste dans son art, il sait que ce n’est pas avec des bons sentiments que naît une œuvre digne de ce nom, alors il recherche les forçats de la langue pour pouvoir mieux s’exprimer dans ses traits. Laurent est en vérité un féroce anticonformiste et ça fait maintenant quinze ans qu’il le crie dans sa peinture, cependant d’une voix nouée au fond de la gorge, rendu muet d’aversion et de mépris face à ce monde qui lui déplaît. Il utilise alors des couleurs sorties directement du fond de ses entrailles, regroupant tant de contradictions au fond, qu’il ne peut être que de son époque, mais ça l’agasse de lui rendre formes et couleurs… Alors il la nie de temps à autres, par en-dehors comme par en dedans, en peignant des cruches par exemple, froides comme des serpents, ou des Eglises, dont les lignes droites contrastent avec les gauches sentiers de la vie naturelle et sauvage. Une cruche, c’est un contenant vidé de sens, un réceptacle de tout et de n’importe quoi. Une Eglise est le tabernacle de Dieu, un Dieu pauvre qui réunit ses fidèles dans l’Esprit de vérité et de justice (qu’importe l’époque, les mœurs, la politique ou l’histoire des idées). L’Eglise représente un monde qui ne bouge pas et qui sans cesse fortifie ses fondations. Face à toutes ces cruches si souvent traînées dans la boue et abandonnées dans la brume, les dogmes de l’Eglise aiguillent le sublime à aller à la rencontre de soi, par son propre chemin. Les êtres baignant dans un brouillard de poussière immense s’écrasent donc forcément contre cette architecture symbolique de l’Unique, et Laurent Pellecuer n’a pas attendu que sa personne ne puisse plus respirer pour se fixer en traits, couleurs et formes. Un tableau résiste à l’air du temps en cherchant son oxygène là où il se trouve, dans une aire libre. Une différence de taille, qui nourrirait son premier survivant venu, affamé de Beau et d’Absolu. Que voulez-vous, l’Artiste reste dans son sens, agit dans l’indépendance, conserve sa souveraineté et un esprit qui ne se laisse pas infiltrer par les mœurs, les opinions publiques qui traînent sur tous les trottoirs de la rue. Sa personne reste inviolable, en conséquence il déborde dans l’excès, se libère de la loi du nombre et n’existe alors que comme un signe catastrophique dans ce monde-ci : fenêtre ouverte sur sa quête. Ah ! Et il tranche dans le vif avec ses pinceaux, transformés en armes de destruction massive, mais d’un rayon de circonférence particulier, intime. Il frappe à coup de pinceaux ceux qu’il déteste et ceux qu’il aime, d’une violence sans haine mais sans baigner dans un idéal huîtré pour autant. Laurent reste Laurent dans toutes les situations, un énervé bourré de contradictions. C’est pourquoi il ne courbe jamais l’échine devant quelqu’un, de là né son amitié, virilement, et c’est tout à son honneur.
L’Admiration embrasse ce qu’elle respecte et d’un coup d’un seul, ça pue la citrouille ! Quand sonnent les cloches de minuit, vous regardez ici et maintenant un monstre avec une tête de cheval abandonné, raffolant des petits poucets excités par la vie, hennissant comme un grand-père poitrinaire au galop dans son manoir crado, transformé un temps en forêt de Japuna, là où les arbres sont encore entourés par des lierres puissants, des lianes obstinées et solides. “Le grain qui germe ne fait pas de bruit, dit Bernanos, l’arbre au cœur pourri qui s’écroule fait au loin trembler la terre...”

Quatrième round : Guerre molle mais dur combat.
Après la tentative d’une littérature de l’In extremis, voici venu le temps d’une littérature et d’une peinture de la catastrophe. Le réel est toujours invisible pour le citoyen, forcément catastrophique pour le sacrifié. C’est pourquoi il faut défendre tous les particularismes avant qu’on se retrouve tous noyés dans le hurlement des chenils abandonnés par des maîtres incompétents. Oui, les maîtres sont devenus leurs propres chiens, convertis à l’animalité la plus sauvage, et règnent sur les tertres publics de plus en plus nombreux. Un vaincu ne peut pas s’arrêter de combattre, il cherche à régler son pas d’abord sur lui-même pour qu’il devienne manifeste. Pour proclamer sa Victoire sur la marche du monde, il faut distinguer la peinture véritable de toutes ces décorations de Salons qui sont pesées comme des produits d’EPICERIE™. J’ai assisté à la conception de certaines œuvres de Laurent et à un moment donné, j’ai compris l’une des vérités de l’Art : c’est un choix esthétique. Soit jouer le rôle de ce que souhaite la culture & Cie, soit l’Art. Chez Laurent, aucune imposture : l’ART. Mais de l’Art intelligible, c’est-à-dire clairement et simplement exprimé, qui ne fléchit pas devant le réel mais réfléchie sur son scandale. Un Art de déplaire car il est sans subvention et sans subversion, donc : sans bruit de succion. Lorsque l’on a pour maître des artistes comme Delacroix, Moreau, ou Rouault, répondre aux artistes d’Etat toujours en nombre est un honneur. Traverser une véritable épreuve et lui rendre grâce dans une oeuvre n’est jamais d’actualité, il n’y a qu’à voir toutes ces victimes de l’air du temps qui n’engendrent que soumissions homologuées, impostures certifiées conformes, ouvrages cachétisés et sponsorisés par des produits d’EPICERIE™. Producteurs de talent sûrement – mais sans âme. “C’est sans doute pourquoi, dit Armel Guerne, les générations microscopiques d’une ère déconfite et affaissée qui ne survie que dans son seul microcosme, s’interdisent, sous peine de vertige, tous regard qui n’est pas borné, ne cherchent rien au-dessus d’elles de peur de le trouver.” Il est grand temps que l’Art arrête de tapiner sur des aires d’autoroutes goudronnées. Il est grand temps que l’Art reprenne les chemins de traverse et recommence à imiter la vie honnêtement, et non plus l’esclavage. Il est grand temps que l’Art réapprenne à naître seul.
Au milieu de ce tohu-bohu despotique où les patriarches du néant sont Légion, le silence poli de l’artiste de sang, du peintre de race, est une façon de résister, avec la passivité comme arme et la conscience de l’acte créateur comme oriflamme. La plus intense période pour engendrer une œuvre est, pour longtemps encore, ce moment de gestation intense où la Lumière explose dans l’Esprit et rend vivant tout ce qu’elle touche, jusque sur la toile, sans demander l’avis de y, restant fidèle à une certaine tradition de l’Art. Un Art qui ne renonce pas au Sacré, malgré l’avis de ceux qui aimeraient en faire l’histoire. Le paysage de l’âme rend toujours témoignage à la vérité et devant un seul qui ne retourne pas ses gants, qui reste dans son expérience intérieure, combien sont-ils tous ceux qui se jettent avec l’éponge ?

— Knock-out !


“Quel homme, au milieu d’une anxiété douloureuse,
fatigué d’interroger tous les êtres qui vivent ou végètent autour de lui sans pouvoir en trouver un seul qui lui réponde de manière à lui rendre,
sinon le bonheur, au moins le repos,
n’a pas levé ses yeux mouillés de larmes vers la voûte des cieux ?”
- Gérard de NERVAL, Les Illuminés



Val de Brunet, juin 2004 - juin 2005



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