Laurent PELLECUER 1, PEINTURE 0



“ On est con mais pas au point de voyager. ”
Gilles Deleuze
“ La voie du thé ne doit pas servir à gagner sa vie. ”
Kei Kumai, (La mort d’un Maître de thé).



Qui se soucie réellement de la peinture des années 80 ? Qui fait l’effort de se souvenir de toutes ces galeries qui systématiquement secondées par une kyrielle de plumitifs, imposèrent aux amateurs juvéniles que nous étions des accrochages consistant en tableaux tous plus déprimants les uns que les autres ? De la “transavantgarde” aux “nouveaux fauves” (qui se permet de s’en souvenir encore ?), la peinture se vendit alors au m2, satisfaisant une nouvelle espèce de collectionneurs publicitaires et incultes. Faute d’avoir pensé cette inscription générationelle – car pour un Barcelo combien d’emplâtreurs, pour un Paladino combien d’enlumineurs dilettantes, pour un Jean-Charles Blais combien de peinturlureurs sur bâches ? -, c’est tout le projet pictural qui fût défait et qui, d’une certaine manière en pâtit aujourd’hui encore. Pour reprendre les termes de feu Lamarche-Vadel, on entrait en peinture comme on entre en religion. Beaucoup en sortirent comme on se rend au bistrot, de nuit, à l’improviste. La peinture devait être héroïque, elle fût autoritaire dévoilant son dernier visage : Obstiné.
La génération suivante se devait donc d’être intelligente ou plutôt : cultivée, retorse, rompue aux stratégies et aux rebondissements conceptuels. Il fallait faire sens, créer du signe là où la génération précédente n’avait produit que des traces, des éboulements chromatiques. Il fallait refouler la spontanéité, cultiver la référence (révérence ?) “duchampienne”, la distanciation critique. Plus de Pathos ! Keith Haring était mort du sida et Basquiat poursuivait sa production post-mortem. Tous deux appartenaient déjà aux vieilles figures du passé au même titre qu’un abstrait en santiag’ ou qu’un surréaliste délirant. “ Nouveaux trucs, nouvelles combines ! ” se seraient écriés les Pieds Nickelés. Le problème avec l’Art, c’est que les sociologues ne devraient jamais s’en soucier. Pourtant seuls ces derniers sont aptes (avec les cliniciens) à nous expliquer pourquoi les eighties furent si mauvaises, si hostiles à toute forme de pensée heureuse et pourquoi sombrèrent-elles si aisément dans le nihilisme ?
La pensée, l’intelligence, le bon sens (“prés de chez vous”), Laurent Pellecuer leur a tourné le dos pour graviter dans les banlieues de la faconde et du scepticisme. Il se compare dans un autoportrait masochiste à un Céline glaviotant et sa bibliothèque est pleine de ces auteurs que l’on dit inclassables pour ne pas avoir à les classer franchement douteux. Laurent Pellecuer est inscrit dans son topos (Paris et son Ecole des Beaux Arts, Marseille et sa Belle de Mai) avec délectation et insistance. Il n’intente aucun procès au réel de peur d’avoir à entretenir une armée d’avocats, il ne livre aucun combat qui dépasse le périmètre de son salon. Ses interlocuteurs privilégiés sont des objets susceptibles d’être vidés (une bouteille) ou éteints (un poste de télévision). Il se joue d’eux comme on joue aux échecs, sans sortir de chez soi. Parfois aussi, il déplace un tableau. J’ai bien écrit un tableau : Un tableau au contraire de la toile ou de la peinture développe une spécificité matérielle et entend un usage particulier de l’espace. Tableau des maîtres anciens, qu’ils fussent florentins ou bien de la IIIème République, sentant l’encre et le tabac. Sur un tableau, on gratte, on efface. Le tableau appelle la mise au carreau ou le graffito obscène. Tableau d’Honneur, des cartes anciennes et des perspectives cavalières. Chacun de ses tableaux est une entreprise épaisse et dont les motifs sont au moins doubles : ceux d’une religion fantasmée, d’un ésotérisme réel ; ainsi qu’un réseau inextricable de motifs calligraphiques, car sur le tableau on écrit autant que l’on dessine. Motifs banals en somme et dont l’Histoire de la Peinture est parcourue : chastes saints, cruches pryapes, enluminures viles ou sacrées. Série. Répétition. Une fascination sans programme, un programme sans contrat ; nonobstant le plaisir d’être happé par cela et, sachant que cette attitude n’est pas viable, d’en jouir doublement. Avec Pellecuer, on ne sais jamais s’il persiste par ignorance ou par volonté. L’essentiel est de s’inscrire, je le répète, dans un espace aberrant, un palais du Facteur Cheval que nul office de tourisme ne songerait à récupérer. Facile, me direz-vous, chaque sous-préfecture possède une demi-douzaine d’artistes de cet acabit. Courageux, rétorquerais-je, de singer sérieusement ce qui est toujours en premier lieu imposé à la légère. Créer, agir, prendre la parole, donner son avis (le fameux : ”ça se discute ” dont Pellecuer s’est définitivement retiré car “ça ne se discute jamais, il n’y a aucune raison a discuter…” à moins de vouloir convaincre, ce qui est vulgaire et –merci Walter- totalement infécond). Ici, donc, selon une démarche a-contrario, les valeurs sont inversées. “Chaque sec boit son humide” selon un développement alchimique qui n’est pas pour déplaire à l’artiste.
La peinture n’est qu’un moyen, une stratégie pour jeter le réel avec l’eau du bain. Pour en finir un peu avec une idée fixe, comme on décalque un dessin pour en faire une gravure. Exemples : une femme dotée d’excroissances mammaires époustouflantes nous fixe impeccable, un saint éthylique jouit du bref instant de son apparition. Vous les avez reconnus ? Ste Rita et St Jude en personne* ! la Patronne des égarés et le Patron des causes perdues et ils tiennent sur le mur, ou bien posés sur le chevalet ! Ils reposent comme jadis reposaient beaucoup d’autres en d’autres lieux consacrés depuis lors à la cuisine TexMex et au NetSurfing. Le retour au mythe, le retour au même. Les mythes porteurs et les miniatures philosophiques. On ne se trompe jamais d’époque, c’est l’époque qui se méprend toujours. Alors, bicentenaire de la révolution ou 11 septembre, Jean-Paul Goude ou Ben Laden… l’Amérique est un rêve supportable pour peu que vous vous rappeliez que les tableaux et les dessins ont des Amérique aussi. Des Amérique, des Mexique, des Rio-Bravo, non point d’Eldorado…


*- Interprétation somme toute personnelle, on a les visions qu’on peut…


Stuttgart, février 2005.



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