CHRONOLOGIE



« Le vin est un puissant restificateur de l'hérédité. »
Léon Daudet



L’adage veut que nous ayons « l’âge de nos artères », ce qui veut surtout dire que nous avons l’âge du sang qui y circule et que nous devrions plutôt dire que nous avons « l’âge de nos ancêtres ». Nous concevons que cette conception de la vie soit quelque peu imperceptible à la vision moderne ; mais elle n’en demeure pas moins juste, bien que l’ambiance depuis une paire de siècles soit à la destruction des archives, au parricide, à l’effacement du nom derrière les prénoms. L’homme d’aujourd’hui prétend être ses propres racines, son tronc, ses branches et ses fruits ; ce qu’il ne peut être qu’en étant fils de rien, ni de personne, et produisant pour ne pas mettre au monde, car le Déluge nous suit, autant qu'il nous précéde.
Notre chronologie débutera ainsi un temps avant les habituels Curriculum Vitae, elle sera en outre ordonnée chronologiquement et ne commencera pas à la date le plus récente comme exige l’absurde usage contemporain.

La forme occitane du nom de Pellecuer est Pelacuer (connue dans le Gévaudan comme sobriquet des artisans travaillant le cuir, ou de ceux qui battent le cuir, par extension : les querelleurs). C’est pourquoi la chronologie de notre existence commencera par l’extraction de quelques Pelacuer de notre arbre généalogique qu’il serait trop long de copier dans son intégralité ici.

- 1310, « lundy après saint Luc, l’inventaire des archives de la seigneurie de Mirandol mentionne les directes suivantes : Martin Pelacuer donne un cent de (illisible), un mitadenc de froment mesure de la Garde, un ras d’avoine de Mirandol, treize deniers et oboles tournois, une tourte (…) guets et manœuvres à volonté, paiement en trois fois ; à promis paiement à la saint Michel pour l’avenir.
Bertrand Pelacuer de son côté paie à saint Michel des cents semblables aux précédants ; lui aussi est manœuvrables à mercy. »
Or donc, ces gens étaient « propriétaires » autant que faire se peut de leurs champs, puisque les terres appartenaient au seigneur ; mais qu’ils paient ce qui était en quelque sorte un « impôt », faisait d’eux des hommes libres et non des serfs. Il semble qu’ils n’aient point été trop riche et corvéables, tout de même, ils vivaient de leur labeur.

- 1464, le roy de France ordonne aux délégués du Languedoc de se réunir au Puy afin d’établir l’assiette de taille, c’est à dire rédiger les estimes, en même temps cadastre et recensement. Parmi les plus pauvres du diocèse de Vivier, apparaît le premier Laurent Pelacuer de l’Histoire, vivant au Montselgues, l’ancien « Mons Coelicus » (le Mont Céleste), un plateau sauvage mais ensoleillé, où les Pellecuer sont des rares à posséder des parcelles de vigne. Laurent Pelacuer a pour biens une maison estimée à deux livres, douze parcelles, quatre chèvres, quatre brebis et il loue une vache.
Cette même année, en la paroisse de Lafigère, placée sous le vocable de saint Antoine, parmi les vingt et quatre tenancier énumérés dans l’estime, au hameau de l’Enna (aujourd’hui « Lenne »), on trouve un ancètre plus direct et mieux loti de votre serviteur, prénommé Guillaume, qui possède une demeure et vingt et une parcelles dont un pré à Montselgues, estimés à quatre vingt deux livres tournois et quatre sols ; et un cheptel d’une vache, trente et cinq ruches, trente et quatre brebis, quatorze chèvres et quinze moutons, le tout estimé à onze livres et douze deniers. Il est troisième au rang des propriétaires (après son voisin Jehan Labalme de Lenne) et il est le seul à posséder une vache. Cependant, son avoir de 93 livres 4 sols 12 deniers, lui valait en espèces et nature un cent de 118 livres aux seigneurs de Châteauneuf de Randon, du Roure, de Maurines et de Pulcio Mundo, ainsi qu’au noble Jaucelin de Borne et au hoirs de Guillaume Talherii.
Nous mentionnerons en outre le contrat de mariage du fils de Guillaume, en 1443, omettant les fastidieux termes de la dot pour ne retenir que les noms des époux tels qu’ils sont mentionnés sur l’acte : Bertrandus Pelacuer de l’Enne et Johana de Balma des Eygals.

- 1598, maître Antoine Pellecuer de Beaujeu, notaire royal à Lafigère, rédige le testament de messire Jehan Pellecuer, prêtre à Lafigère, puis curé de Malbosc. Où l’on voit que les paysans affranchis deviennent gens d’esprit et d’écrits sinon gens de lettres.

- 1647, sont mentionné à l’Elze deux Pierre Pellecuer, petits enfants d’Antoine, mariés à Jehanne et Margueritte Rouvière. On affubla l’époux de la dernière, pour le distinguer de son frère, du sobriquet ironique de Bollègue (Beu l’aïgo : buveur d’eau), car il était fervent de la dive bouteille.

- 1781, Pierre Pellecuer épouse Marie-Magdeleine Martin, qui avait parmi ses aïeules Louise des Fustiers, Gaspare d’Altier et Jehanne de Budos ; et dont la branche paternelle nous conduit à Jehanne de Got, sœur de Bertrand de Got, le pape Clément V. Par sa branche maternelle, les Beauvoir du Roure et les Senhoret, nous venons à Etienne de Grimoard, frère d’Urbain V. Par Marie-Magdeleine Martin, nos artères se targuent du sang des premier et dernier papes d’Avignon.

- 1933, en mai, naissance de mon père Louis à Montpellier dans l’Hérault. Pendant la seconde guerre mondiale, ma grand-mère, veuve et ne nageant pas dans l’opulence, le plaçât chez un curé de la Creuse. Il reçut de ce fait une certaine éducation en faisant le petit séminaire et si la guerre s’était prolongée, il serait vraisemblablement devenu prêtre, je n’aurai jamais vu le jour. Au lieu de quoi, il a commencé enfant à porter les télégrammes, il a fait la guerre d’Algérie dans les transmissions, puis il est entré aux PTT y faisant toute sa carrière, finissant cadre à France Télécom, quand on y poussait pas encore les employés au suicide. Professionnellement, cela dénote d’une constance admirable, à l’heure où n’importe qui fait n’importe quoi, et où il devient exceptionnel que l’on envisage son métier comme le « ministère » dont il est le rejeton étymologique.

- 1934, en janvier, naissance de Christiane Baud, ma mère, à Cavaillon dans le Vaucluse. Elle aussi fit preuve de constance dans son parcours professionnel : entrée au centre de chèques postaux après son baccalauréat, elle a poursuivi sa carrière à la poste où elle est devenue receveur au bureau de Sénas dans les Bouches du Rhône. La légende dit qu’elle a rencontré mon père dans une cantine des P&T à Marseille, quand elle y travaillait aux Chèques et qu’il triait le courrier dans les trains, la nuit.

- 1959, à la fin novembre, naissance de Patrick Pellecuer, mon frère, à Cavaillon, qui mourra emporté par la maladie le 25 décembre 1992, à l’âge de trente et trois ans. L’année qui suivit, le vendredi de Pâques, le Seigneur rappelait à Lui Marcelle Baud née Bellitti, ma grand mère maternelle. Hasard des dates, c’est le 31 décembre 1999 que ma grand-mère paternelle, Cyprienne Julien née Moulard, est morte.
Il laisse derrière lui une femme et trois enfants, Guillaume, Clément et Blandine. Sentant sa fin venir, il se convertit à l’Orthodoxie pour que ses enfants puissent être baptisés selon ce rite. Il avait poursuivi la tradition familiale en étant employé des Postes, receveur distributeur à Orpierre dans les Hautes Alpes. Parallèlement, il écrivait des poèmes, dont j’ai illustré un recueil : « Les Mortuaires ».

- 1967, le huit janvier, je pousse mon premier cri à l’hôpital de la Conception à Marseille. Il est de vieilles infirmières qui parlent encore d’un bébé très beau et aux dons artistiques miraculeux : c’est moi.

-1973, nous déménageons de Marseille à Bédarrides, dans le Vaucluse. Je vais y vivre une enfance semi-rurale, à proximité des vignobles de Châteauneuf du Pape.

-1985, après avoir été reçu à mon plus grand étonnement au baccalauréat, j'échoue à Paris chez mon grand frère et j'échoue aussi au concours d'entrée de l'Ecole des Beaux-arts. Me voilà en faculté d'Arts-plastiques où ils m'acceptent car ils acceptent n'importe qui. J'apprends à m'ennuyer et que l'on est nullement tenu d'assister aux cours de la faculté ; cependant que je suis avec délices l'enseignement de Mr Jean-Michel Palmier sur Nietzsche, puis Heidegger,et que j'abandonne lorsqu'il nous parle de Sartre et Freud. Je m'entraine alors à errer dans la ville, mais surtout à dessiner correctement.

-1986, reçu à l'aise au concours d'entrée aux Beaux-arts, section dessin, grace aux précieux conseils du peintre Dominique Larrivaz. Il serait peut-être lieu de faire la louange de cet homme à l'incommensurable talent. Il fut, physiquement, mon seul et unique maître, je n'ai appris que de lui et je médite encore ses leçons. Son oeil vif décelait de suite comment je faisais, comment je me trompais ou comment j'avais la main sure. Ce n'était qu'une phrase, les plus profondes bases de notre métier, pour ne pas dire de "notre ministère", de la poussière d'or et de lumière.




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(en cours)


Marseille, 2012.



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